« Le bijoutier sous-estime l’importance de la médaille religieuse, les ventes qu’il peut générer. Il devrait y porter une attention accrue. » Pour Gilles Piette, PDG d’Arthus-Bertrand, dont Augis et Pichard-Balme font partie, la médaille religieuse représente une niche indéniable de la bijouterie. Une niche inexploitée.
Nombreux sont les bijoutiers à témoigner de leur incapacité et de leur manque de volonté de proposer ces produits. Invendable ? Pas selon Gilles Piette, « c’est un produit tout à fait actuel. Encore faut-il le savoir et prendre les mesures nécessaires, en termes d’aménagement de boutique et de présentation de produits. » Vianney d’Alançon, le fondateur de la maison de joaillerie 10 Royale et de la marque de médailles Laudate, entend lui aussi profiter de cette niche. Sa jeune marque, représentant actuellement 1 500 à 2 000 exemplaires par an, voit plus loin : « d’ici à cinq ans, nous souhaitons devenir le deuxième médailler de France. » Dans ce cadre, Laudate, dont les produits sont conçus entièrement en France, se dotera début février d’une première boutique à Paris. D’autres suivront, dans la capitale autant qu’en province.
Aujourd’hui, les détaillants sont rares à présenter une médaille religieuse comme un bijou. Il faut dire que les acteurs y sont peu nombreux. Derrière le groupe Arthus-Bertrand, la niche se partage entre La Monnaie de Paris, Becker, Laudate, Commelin ou encore Orfeva, mais leurs productions demeurent limitées. « Les bijoutiers cachent les médailles et ne les montrent que sur demande du client, note le PDG d’Arthus-Bertrand. C’est dommage, car bien souvent, le client, ne voyant rien en vitrine, préfère passer son chemin. » Commelin, fabricant parisien de médailles et spécialisé dans les bijoux émaillés, constate également un vide sur ce marché. « Leurs achats sont trop limités et, pour chaque approvisionnement, au compte-goutte, il faut passer beaucoup de temps. Pour un petit fabricant, c’est impossible à gérer », note Claire Massat, gérante associée de l’atelier.
230 000 ventes par an en bijouterie
Ce constat n’empêche pas le groupe Arthus-Bertrand de s’octroyer la moitié des 230 000 ventes enregistrées, chaque année, dans les seules bijouteries françaises. L’entreprise couvre aussi bien l’entrée de gamme avec Pichard-Balme (65 000 ventes par an), le moyen de gamme avec Augis (30 000 ventes par an), et le haut de gamme en nom propre (20 000 ventes par an). Ces ventes s’effectuent dans ses cinq boutiques, ainsi que dans les 500 bijouteries sélectionnées par la marque et dans les 2 000 points de vente distribuant les produits Augis. Internet représente un nombre croissant de ventes. Si la médaille religieuse reste confidentielle, elle n’en demeure pas moins une valeur sûre. Chaque année plus de 300 000 baptêmes sont célébrés en France, et d’autres sacrements ou événements, tels la première communion ou la confirmation, se comptent également en dizaines de milliers. S’accompagnant ainsi de l’achat de médailles ou de croix.
S’il affiche une santé constante, le marché de la médaille religieuse n’en subit pas moins les hausses du cours de l’or. Conséquence : les prix gonflent, et l’or 375 millièmes s’invite peu à peu à la fête. « Ces évolutions ne changent finalement pas fondamentalement le marché. Les médailles se vendront toujours. L’important, c’est que les produits restent beaux », explique Franck Augis, directeur du marché bijouterie du groupe Arthus-Bertrand. Chez Commelin, qui ne travaille que l’or 750 millièmes, la tendance est différente : c’est la clientèle qui a changé. « Aujourd’hui, assure Claire Massat, nous vendons surtout en Chine. Là-bas, la médaille symbolise le bijou. » Autre conséquence d’une conjoncture économique morose : la délocalisation des acteurs du marché vers des pays à bas coûts de main d’œuvre. Comme Becker, qui a installé ses machines et son savoir-faire français en Thaïlande, réduction de coûts oblige.
Des médailles fabriquées à la main
Non, la fabrication manuelle française n’a pas disparu. Oui, les médailles peuvent encore être faites à la main. Comme en témoigne les ateliers Arthus-Bertrand, où 25 étapes sont nécessaires à la fabrication d’une médaille.
Tout part d’une feuille blanche, d’un crayon d’un dessinateur. Vient l’étape de la sculpture. De l’œuvre en terre ou en plâtre, fragile, est tiré un moulage en bronze ou en résine, grâce à un moulage intermédiaire négatif en creux. Le résultat est numérisé, puis reproduit sur une matrice en acier ou en résine. Les manques de détails de cette matrice repassent par les mains du sculpteur, qui fait ressortir les finitions éventuellement masquées par la numérisation. La matrice est installée sur des presses de 300 à 2 000 tonnes, qui frappent six, sept, même dix fois la médaille pour lui imposer son relief. Entre chaque passe, le bijou est recuit afin de maintenir l’équilibre physico-chimique du métal et de détendre les molécules. Un travail manuel de finition est ensuite effectué. Encore à l’état brut, la médaille change d’aspect lors des traitements électrolytiques et chimiques de sa surface. Elle est ensuite terminée à la main, au moyen d’un procédé de patine ou de polissage.
Par Romain Rivière