Avec sa montre automatique à aiguilles circulaires, la marque Beaubleu fait, depuis 2017, un pas de côté, en proposant une horlogerie poétique et créative, adressée à une nouvelle génération attentive à la différence. Une seconde collection lancée en 2020, une boutique inaugurée ce printemps à Paris, une communauté fidèle et enthousiaste qui grandit avec la marque… Depuis le lancement, le succès ne se dément pas. Rencontre avec Nicolas Pham, co-fondateur et designer de Beaubleu, qui propose une nouvelle lecture du temps.
Par Karine PORRET – Le Bijoutier International n° 864
Le Bijoutier International / LBI : Comment est né Beaubleu ?
Nicolas Ducoudert Pham / NDP : En 2017, j’avais obtenu un gros contrat avec Alstom, je dessinais le nouveau TGV. En parallèle, j’avais décidé de reprendre la montre que j’avais imaginée pour mon projet de fin d’études de design. A l’époque, je pensais qu’elle était incroyable : elle était vraiment nulle ! Je reprends la carrure, je travaille sur le cadran, je mets deux aiguilles bâton, je trouve cela très ennuyeux… Je pose alors des cercles : je sens que je tiens quelque chose… Je n’avais alors pas d’idée de marque, ni de logo ; c’est un cheminement qui s’est fait dans ma tête. Je me décide finalement en août 2017, je crée la marque en septembre, je crie sur tous les toits que les prototypes seront là en décembre, et je réserve une galerie ! Je voulais arriver à quelque chose de concret très rapidement. Le 4 décembre 2017, nous avons fait l’inauguration dans une galerie du Marais, avec quatre prototypes, un site web et un compte Instagram. Nous avons pris les commandes et promis les livraisons pour le 1er avril, quatre mois plus tard. Nous avons tenu les délais au jour près, en étant intransigeant sur la qualité, malgré un prix très bas : j’avais refusé 40% de la production. Les gens nous ont fait confiance, tout de suite.
LBI : Cette idée de confiance, de lien avec les clients, est l’un des éléments fondateurs de la marque
NDP : Nos clients sont nos ambassadeurs, c’est ainsi que nous les appelons. Il ne suffit pas de proposer à un client d’acheter une montre, et ensuite de ne plus communiquer, sauf par le service après-vente ou l’envoi d’une newsletter, à l’occasion du lancement de la nouvelle collection. Deux monologues ne font pas un dialogue. Nous avons donc essayé d’instaurer un lien dès le début. Nos clients ont joué le jeu immédiatement, en nous envoyant par exemple des photos de leur montre portée. Cet échange s’est encore intensifié, puisque nous avons proposé, aux 500 personnes qui avaient acheté le premier modèle, de créer avec nous la nouvelle collection. Je leur ai envoyé à tous un certain nombre de croquis, de propositions de couleurs, qu’ils pouvaient annoter avant de nous les renvoyer, fin 2019.
LBI : S’agit-il de la collection qui a été lancée en 2020 ?
NDP : Oui, c’est la deuxième collection, Union, lancée en précommande, en série limitée de 500 pièces numérotées par modèle, deux semaines seulement avant le premier confinement… Nous avions établi un objectif de 42.000 euros en 35 jours, nous l’avons atteint en 18 heures ! Et finalement, 30 jours plus tard, nous avons obtenu 128000 euros, malgré la pandémie. Même si le moral n’était pas au beau fixe, les gens ont vraiment suivi, les distributeurs ont doublé les commandes…
LBI : Qu’est-ce qui a fait la différence selon vous ?
NDP : Je pense que le design joue beaucoup, dans le sens où je m’adresse à des gens qui aiment les montres, sans pour autant connaitre l’horlogerie. Voilà la différence. Je parle d’une génération qui a entre 25 et 40 ans, n’a pas forcément eu une éducation horlogère – cette idée de la montre comme symbole traditionnel d’un jalon de vie, à 18 ans, pour son mariage, lors de la signature d’un gros contrat… Et pour ces raisons, cette génération a mis de côté l’horlogerie automatique, les complications, les références… En revanche, le design les intéresse. Il fallait une montre avec une identité, qui se reconnaisse, raconte une histoire.
LBI : D’où l’idée des aiguilles rondes ?
NDP : Oui. A la fin de mes études, j’avais écrit une thèse sur le vide, avec l’idée de traduire ce concept dans la conception d’un espace, que ce soit en astronomie ou en peinture classique. Or, dans tous les cas, on est plus enclin à faire comprendre l’espace par un cercle plutôt qu’un carré ou un losange. Regardez l’Homme de Vitruve : il est inscrit dans un cercle sans repères. C’était pour moi la forme la plus évidente. D’autant que concevoir un espace, c’est aussi penser le temps, la physique. Finalement, il n’y a rien de plus juste que le cercle pour parler du temps. Ce concept assez philosophique s’est transformé en quelque chose de concret, avec toutefois une certaine poésie. Et cela a donné immédiatement une identité à la marque. Tout un imaginaire a commencé à se créer à partir de cela. J’avais un produit qui parlait vraiment de lui-même, sans avoir besoin de marketing.
LBI : Avec la pandémie, avez-vous établi de nouveaux points de stratégie ?
NDP : Pas du tout. Le schéma que nous suivons aujourd’hui était le même avant l’arrivée du Covid. Nous n’avions pas vraiment de bureau, nous ne faisons pas de pub, nous avions un site, ce qui fait que les gens achetaient sans voir le modèle en vrai. Nous avons donc essayé d’humaniser un peu les choses, de rencontrer les gens, en faisant des vidéo calls. L’idée était de montrer qu’il y a quelqu’un derrière, de présenter ce que cela donne au poignet. Nous faisons cela depuis le début. Le Covid n’a vraiment rien changé, car la marque est à 85% digitale, l’immense majorité de notre chiffre d’affaires se fait sur internet. La co-création elle-même s’est faite à distance.
LBI : Et, au bout de quatre ans d’existence seulement, vous ouvrez une boutique à Paris, dans le 3ème arrondissement
NDP : L’ouverture d’une première boutique était plutôt prévue pour fin 2022. Nous aurions très bien pu continuer comme cela, mais il y a eu une opportunité financière qui faisait qu’on pouvait se le permettre. La boutique s’est présentée comme un nouveau terrain d’expression, une nouvelle façon de penser le rapport à la montre, sans aucune vitre. Je suis designer, j’ai fait du mobilier, de l’automobile. Le fait d’ouvrir une boutique, c’était aussi un prétexte pour imaginer du mobilier sur mesure. Et penser le lieu différemment, comme une sorte de quartier général, avec des montres mais également, des événements, des ateliers, des expositions.
LBI : Créez-vous également des montres pour femme ?
NDP : Il n’y a pas du tout de distinction chez Beaubleu. Le cadran du premier modèle faisait 42 mm, elle était peut-être plus destinée aux hommes. Pour la seconde collection, j’ai réduit la taille à 39 mm, ce qui fait qu’elle est plus universelle, c’est un bon compromis. Elle peut s’adapter à tous les poignets. Néanmoins, la seule chose importante, c’est que la montre fasse sens pour la personne, qu’elle personnalise le temps. Une montre avec des aiguilles circulaires, sans chrono, cela illustra un temps plus souple, moins dans la performance…
LBI : Quand la troisième collection est-elle prévue ?
NDP : Je dessine une collection tous les deux ans ; la prochaine est prévue en 2022. Deux ans, c’est bien pour mûrir un peu. Pour profiter d’un modèle, l’apprécier… J’essaye de reconstruire un peu la base. Il ne s’agit pas de repartir d’une feuille blanche à chaque fois, mais de continuer à innover, sur les aiguilles, sur le boîtier, il y a encore tant de sujets à traiter !
LBI : Quels sont vos principaux challenges aujourd’hui ?
NDP : Assoir l’image de la marque, et consolider notre présence nationale. Pour l’instant, nous avons seize points de vente, dont un au Koweït. Nous aimerions pousser jusqu’à 40 en France, avec des revendeurs qui se présentent vraiment comme des « curateurs », capables de mettre la marque en valeur, de manière distincte. Puis d’avoir à peu près 300 revendeurs dans le monde d’ici trois ans, dans des capitales économiques, sans jamais transiger sur la qualité.